L’autonomie de la volonté aux yeux du droit musulman

22 أبريل 2015 15:27
L’autonomie de la volonté aux yeux du droit musulman

L’autonomie de la volonté aux yeux du droit musulman

Kamal Yassine,

Département du droit privé,

Université Mohammed V de Rabat,

Rabat, Maroc

 Les rapports entre le droit international privé occidental et les institutions du droit musulman constituent un parcours jalonné de tensions et plus d’un demi-siècle de jurisprudence n’a pas réussi les apaiser. L’étude des relations du droit international privé entre les systèmes juridiques musulmans et le système juridique Occidental illustre les difficultés entre les systèmes lorsque les civilisations en présence se révèlent très différentes.

 Par conséquent, la grande différence entre la civilisation musulmane et la civilisation occidentale invite à chercher une meilleure coordination entre ces systèmes juridiques dans le but de réaliser les objectifs du droit international privé. Dans cet article, on ne peut que déplorer l’existence de deux conceptions qui s’opposent aujourd’hui dans les relations du système juridique musulman: celui du droit laïc et celui du droit religieux. Il s’agit en effet du principal obstacle à la réception du statut personnel musulman en Occident. En analysant ce dernier point de la réception des institutions du droit islamique en Europe et en Amérique du nord il s’est avéré que le droit occidental jouit d’une suprématie par rapport  au droit étranger en matière de statut personnel des musulmans établis en Occident. Cela s’explique par le souci de protéger la cohésion du système juridique interne. Toutefois, cette préoccupation peut-elle aller jusqu’à mettre en cause l’harmonie internationale des solutions ? Nous sommes persuadés que le raisonnement adopté par les ordres juridiques occidentaux ne peut qu’aggraver les problèmes du droit international privé (DIP) suscités par la présence d’une communauté musulmane en Occident et ne peut en aucun cas concilier les objectifs du droit international privé. Une telle affirmation nous a poussés à chercher d’autres solutions qui peuvent se substituer à la méthode classique de Savigny. Plusieurs solutions ont été proposées en Europe y compris l’autonomie de la volonté.

L’autonomie de la volonté  ou l’option du droit a été proposée en Europe pour résoudre les problèmes que présente le statut personnel musulman dans les pays européens.  L’option du droit se définit comme « le choix entre deux ou plusieurs législations désignées par des rattachements objectifs»[1]. La spécificité de l’autonomie de la volonté en droit international privé est de permettre aux individus le choix d’un droit applicable à un rapport qui présente un élément d’extranéité. L’expression vient du moyen âge dans les régions connaissant des conflits interpersonnels comme l’Afrique. L’option du droit permet le choix entre le droit coutumier et le droit écrit [1]. La technique de l’option du droit ou l’autonomie de la volonté a été également utilisée par les systèmes coloniaux (surtout la France et la grande Bretagne) de façon unilatérale pour permettre l’option du droit de la métropole et non l’inverse. Des auteurs contemporains envisagent à peu près la même technique en proposant l’application de la lex fori (la loi du for) à défaut d’option en faveur d’un autre droit. Grâce à l’opposition habituelle entre la résidence habituelle et la nationalité, ce sont les lois désignées par ces deux facteurs qui sont généralement retenues comme possibles dans l’option de droit. Ce qui est visé c’est d’une part le pays d’accueil, d’autre part le pays d’origine. Le principe de l’autonomie de la volonté a été proposé par le belge Jean Yves Carlier comme une solution aux problèmes de statut personnel de la communauté musulmane établie en Occident[1]

Elle a pour rôle de permettre la désignation de la loi applicable à tout ou partie de leur statut personnel. Elle se présente sous forme d’une solution médiane qui permet donc de concilier entre la loi nationale de l’immigrant qui cherche à conserver les valeurs et la culture du pays d’origine et la loi de sa résidence habituelle qui ignore ces valeurs et cette culture. En tant que facteur de rattachement, l’autonomie de la volonté se réalise en deux phases : la première phase internationale permet aux parties au litige de choisir entre la loi nationale et la loi de la résidence habituelle. Ce choix se fait lors de la conclusion du mariage. À défaut de ce choix, on applique la loi de la résidence habituelle (lex fori) en tant que règle de conflit subsidiaire. La deuxième phase interne, peu réalisable, permet la liberté contractuelle en offrant la possibilité d’ajouter des dispositions si la loi choisie le permet [2]. Pour comprendre la théorie de l’autonomie de la volonté, Jean Yves Carlier a donné l’exemple du schéma suivant : L’image de la boussole comme principe de proximité et de l’aimant comme autonomie de la volonté. La flèche de la boussole indique en principe le nord comme ordre juridique dont la loi est applicable. L’aimant (volonté en possession de la personne) permet de dévier la direction de la flèche, de désigner une autre loi applicable.

En doctrine, plusieurs auteurs ont proposé l’extension du principe d’autonomie de la volonté aux matières de statut personnel. Nous devons la formule pour caractériser le fondement de l’autonomie de la volonté des parties en DIP à Pasqual Mancini. Selon lui, l’action du pouvoir s’arrête là où elle rencontre la liberté inoffensive et dès lors légitime des particuliers. En conséquence, l’autorité sociale ne peut, sans commettre un injuste excès, envahir la sphère inaccessible et inviolable dans laquelle se répand et s’exerce cette liberté inoffensive[ 3].

 Cette solution proposée par Jean.Yves Carlier, pour se substituer à la règle de conflit bilatérale (jugée inadéquate) présente certains avantages. Toutefois, sa confrontation à la pratique et son évaluation sous l’angle des objectifs du DIP et celui du droit musulman révèlent l’insuffisance de cette solution. Elle paraît inadéquate pour résoudre les problèmes de statut personnel des musulmans immigrés dans des pays occidentaux. Elle ne peut fournir une solution que si tous les ordres juridiques l’acceptent. Au contraire, le problème persiste quand les États ne sont pas prêts à accepter l’option du droit dans les matières impératives du droit de la famille.

Avant de traiter les côtés négatifs du principe de l’autonomie nous allons d’abord recenser quelques côtés positifs de ce principe. Les avantages du principe de l’autonomie peuvent être résumés comme suit :

– Si l’option du droit n’est pas retenue comme facteur de rattachement en droit international privé, c’est la loi de la résidence habituelle et la loi du domicile actuel de l’immigrant musulman qui va triompher dans la plupart des matières de statut personnel dans le cas où ce dernier ne serait pas encore domicilié dans son pays d’origine. Le rejet de la loi nationale sera alors total et l’immigrant musulman n’aura même pas la possibilité d’opter pour sa loi nationale [1].

– L’autonomie de la volonté n’est pas un rattachement aveugle : l’option de droit maintient le rattachement à un ordre juridique en la combinant avec la possibilité pour les intéressés de prendre en compte les résultats concrets découlant de ce rattachement.

– Le principe d’autonomie permet aux immigrés de se réapproprier pour partie leur statut personnel qui demeure leur jardin privé. L’autonomie de la volonté est conciliable avec l’idée voulant privatiser le droit international privé.

En ce qui concerne les côtés négatifs du principe de l’autonomie, la première objection qu’on reproche à l’introduction du principe de l’autonomie en droit international privé  occidental c’est l’utilisation fréquente de l’ordre public. Ce dernier intervient pour exclure la loi choisie, jugée contraire aux principes fondamentaux du for. À l’instar de la loi nationale, la loi d’autonomie augmente les possibilités d’utilisation de l’arme de l’ordre public.

– La seconde objection est le problème de mutabilité de la volonté combinée au conflit mobile ou au conflit de droit transitoire.

– La non permanence du statut personnel des individus est une objection majeure avancée contre l’introduction de l’autonomie de la volonté en matière de statut personnel des immigrés musulmans domiciliés en Occident. L’autonomie de la volonté créée des situations boiteuses.

– Cette solution est ineffective au regard du droit musulman. Ce principe est radicalement rejeté par le droit musulman voulant que les personnes restent soumises à Dieu, à l’Islam et non à leur propre choix. Pour se convaincre Il suffit de regarder les quatre versets coraniques suivants:

« N’as-tu pas vu ceux (les hypocrites) qui prétendent croire à ce qu’on a fait descendre vers toi (ô Mohammed) et à ce qu’on a fait descendre avant toi? Ils veulent prendre pour juge (dans leurs différends) le tâghout …… ».[4].

« Non ! ….. Par ton seigneur ! Ils ne seront pas croyants aussi longtemps qu’ils ne t’auront demandé (à toi Mohammed) de juger de leurs disputes (litiges) et qu’ils n’auront éprouvé nulle angoisse pour ce que tu auras décidé, et qu’ils se soumettent complètement [à ta sentence] »[5].

« Juge alors (ô Mohammed) parmi eux d’après ce qu’Allah (Dieu) a fait descendre. Ne suit pas leur passions, et prends garde qu’ils ne tentent de t’éloigner d’une partie de ce qu’Allah t’a révélé »[6].

« Est-ce donc le jugement du temps de l’ignorance (avant l’avènement de l’islam) qu’ils cherchent? Qu’y a-t-il de meilleur qu’Allah, en matière de jugement pour des gens qui ont une foi ferme?» [7].

– L’adoption du principe de l’autonomie augmente les risques de fraudes. Les parties peuvent volontairement, dans le but d’écarter certaines lois  auxquelles elles ne désirent pas soumettre leurs litiges, choisir la loi applicable grâce aux éléments d’extranéité qu’ils ont frauduleusement créés.

-Le problème d’expression de la volonté : est- ce que le choix a été librement effectué ? La recherche de volontés tacites, de volonté présumée est également une difficulté que peuvent rencontrer les juges.

-Une autre objection est celle relative à la réalisation des objectifs du DIP. L’autonomie de la volonté est inapte à concilier les objectifs du droit international privé de tendance interne et les objectifs du DIP de tendance internationale.

En guise de conclusion, l’autonomie de la volonté est davantage appréciable dans des Etats multiculturelles comme ceux de l’Occident. Toutefois, la pratique révèle que cette solution ne garantit pas la permanence du statut personnel de l’immigré domicilié en Occident et augmente le risque des fraudes à la loi. Le principe de l’autonomie nous semble insuffisant pour remédier aux situations boiteuses causées par la règle de conflit bilatérale, plus précisément par le facteur du domicile adopté par la plupart des pays occidentaux. On a reproché à cette solution qu’elle encourage l’utilisation de l’ordre public dans la mesure où l’ordre public des pays intéressés au litige intervient pour exclure l’application des dispositions de la loi choisie. Si la loi choisie est la loi nationale de la partie musulmane, l’ordre public international du pays d’accueil n’hésitera pas à intervenir afin d’exclure les dispositions du droit musulman contraire aux principes fondamentaux du for occidental. En contrepartie, si la loi choisie est la loi de la résidence habituelle, il est indéniable que l’ordre public musulman refusera d’appliquer aux musulmans les dispositions d’un droit laïc, et par conséquent, refusera la reconnaissance des situations créées et les jugements rendus dans les pays d’émigration.

 On reproche également à la théorie de l’autonomie de la volonté sa perte de vue de la probabilité de retour de la communauté musulmane au pays d’origine. Si l’idée de retour des ressortissants des pays musulmans a disparu pour une longue durée pour des raisons politiques, économique et sociales, les politiques d’assimilations adoptées dans les pays occidentaux viennent renforcer l’idée de retour chez les musulmans domiciliés en Occident.  On accuse aussi à l’autonomie de la volonté son manque de neutralité : la solution proposée par jean Yves Carlier, vient affaiblir le rôle de la loi nationale adoptée à l’époque en Europe. L’option du droit vient donc favoriser la loi de la résidence habituelle. Certes, l’autonomie de la volonté permet aux époux de choisir entre la loi nationale de l’immigrant et la loi de la résidence habituelle, mais monsieur Carlier ne cesse pas de mentionner que les problèmes de statut personnel dont souffrent les musulmans résidant en Europe sont intimement liés aux dispositions de la leur loi nationale. Ce qui influence implicitement les musulmans établis en Occident à opter pour la loi du for. Et même dans l’hypothèse où le musulman immigré en Occident exprimerait sa volonté d’une façon libre et réelle, la position des pays musulmans ne sera pas changée vis à vis du refus d’appliquer un droit laïc à un de leurs ressortissants. Car une telle application ignore les dispositions du droit musulman. Devant ce déséquilibre économique entre les pays du nord et les pays du sud, la théorie de l’autonomie de la volonté semble favoriser le droit interne de la résidence habituelle de l’immigrant. Ce qui est loin de la théorie des objectifs du droit international privé.

references

[1]CARLIER Jean Yves, Autonomie de la volonté et statut personnel, Bruxelles, Bruylant, 1992

[2] Jamila OUHIDA, le statut personnel des marocains aux pays Bas, mémoire de DESA, Rabat, faculté de droit, Université Mohammed V.

[ 3]JAYME Erik, « Identité culturelle et intégration : le DIP postmoderne », Recueil des cours, Volume 251, 1995, pp. 9-267

[4]Sourate 4 n° 60

[5] Sourate 4 n° 65

[6] Sourate 5 n° 49

[7] Sourate 5 n° 50

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